Plus personne ne s’éclaire en mauve.

J’habite depuis une douzaine d’années sur un boulevard parisien, un immeuble séparant le mien de la belle bâtisse d’angle où vivait depuis longtemps le chanteur Christophe. Cela n’a rien d’extraordinaire, c’est Paris.

(Dans cette ville, il y a des célébrités partout. Un Académicien que j’admire un peu sur la droite en sortant de chez moi, un immense dessinateur sur la gauche et plus loin un des plus grands chanteurs français. Et aussi un des plus bas votes RN de Paris.)

Je suis journaliste, je l’ai souvent interviewé, Christophe. Avant et après être devenu son voisin. Ailleurs et puis chez lui. Dans le salon avec les claviers et la lumière mauve. Ou dans la cuisine (joliment décorée, elle aussi, mais pratique.)

On se croisait souvent. Au restau jap en bas, entre nos deux immeubles. Sur le trottoir. Sur le trottoir tout seul ou sur le trottoir avec Doudou, quand il partait ou revenait de tournée. (Doudou, frère de mon frère Daniel, immense mec et immense cœur.)

Doudou qui l’attendait en bas de chez lui, devant cette porte sur laquelle des gens ont scotché des photos et des messages, et accroché des fleurs pendant le confinement, quand Christophe est mort.

Parce que Christophe est mort. Les fenêtres de son salon ne se sont plus éclairées en mauve, ni entrouvertes par tous les temps. Un jour, je revenais chez moi et des cartons traversaient le trottoir. Le dernier déménagement de Christophe.

Puis il y a eu la vente de ses collections. Félicitations à tous ceux qui ont pu acheter aux enchères un peu du quotidien de Christophe et de sa mémoire. Comme quand nous étions voisins, je continue de regarder ses fenêtres en passant.

J’aimais cette vigie mauve de la musique dans la nuit Rive Gauche. Un clin d’œil de la création et de la liberté, là-haut, à l’angle.

L’autre jour, il y avait de la lumière. Une lumière normale. Une lumière comme tout le monde.

C’est peut-être une famille de cadres, ou un couple d’expat suisses, ou un veuf mélancolique, ou un fils à papa. Je ne sais pas. Mais j’espère qu’ils savent qu’il faut laisser la fenêtre ouverte, la nuit.

J’aimais savoir Christophe veillant sur la piste d’envol des Samu (vers Cochin dans un sens, vers Necker dans l’autre). Et sa fenêtre ouverte sur l’hypothèse du génie, sur la mélodie survenant peut-être.

Le deuil des artistes est aussi là : on les voit absents de la ville. Et la ville n’y peut rien, elle continue son boulot de ville – habitée, commerçante, fonctionnelle, urgente. Et plus personne ne s’éclaire en mauve.

Magnifiquement écrit par Bertrand Dicale sur twitter.

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Publié par alaflamoute

Dynamiteur d'aqueducs.

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